Des bruits de pas feutrés se faisaient entendre dans les couloirs obscurs qui menaient à la prison du Donjon Rouge. Une silhouette encapuchonnée se glissait avec grâce, tel un fantôme vaporeux qui hanterait les lieux. Tout le monde s’interrogerait sur la présence de cette créature ici – les soieries et les plis gracieux de sa pelisse retombaient sur le sol poussiéreux et humide – pour sûr qu’une femme n’avait rien à faire dans cet endroit.

Elle arriva prés des gardes et l’un s’empressa de saisir une torche avant de lui faire signe de la suivre dans les méandres sinistres des cachots. La jeune femme s’exécuta, silencieuse, et ils eurent vite fait d’aborder les cellules où étaient enfermés la contrebandière et le chevalier errant. Ils dépassèrent le cachot de la première et le garde désigna celle de l’homme avant de disposer la torche dans son emplacement.

« Le voilà, lady. Vous pouvez lui parler à travers la porte. »

La jeune femme inclina la tête en direction de son interlocuteur.

« Non, j’aimerais vraiment rentrer le voir, je vous prie. Après tout, cet homme est enchaîné – je ne vois pas en quoi je risque quoi que ce soit. » – Sa remarque se solda par un petit sourire encourageant et le garde accepta après quelques hésitations.

Il déverrouilla la cellule et se saisit de nouveau de la torche pour pénétrer à l’intérieur le premier. D’un ton grave, presque menaçant, il s’adressa au chevalier éclairé par le reflet des flammes.

« Tiens toi bien, tu as de la visite. » – Il déposa la torche dans son encoche, éclairant ainsi tant bien que mal la pièce.

L’odeur qui se dégageait de là était particulièrement nauséabonde et Lorelei remarqua les rats qui courraient non loin de ses pieds pour se réfugier dans l’obscurité. Une petite moue de dégoût agaça son visage avant qu’elle ne chasse toute appréhension pour poser son regard sur le chevalier. Délicatement, elle porta ses mains gantées pour rabaisser sa capuche et dévoiler son visage au prisonnier.

« Merci, vous pouvez m’attendre dans le couloir. » – Elle dut faire l’effort d’un nouveau sourire à l’égard du garde pour qu’il s’exécute, puis lorsqu’il eut quitté la pièce, Lorelei reporta son attention sur Orfallen. « Bonjour ser, je suis navrée de vous voir dans une position aussi inconfortable. »

Le chevalier devait bien se demander à qui il avait à faire. C’était sûrement la première fois que quelqu’un venait lui rendre visite depuis qu’il était prisonnier.

« Mon visage doit vous être inconnu. C’est la première fois que je mets un pied à Port Réal – mais l’on m’a beaucoup parlé de vous, notamment parce que c’est grâce à vous que mon époux est toujours en vie aujourd’hui. » – La jeune femme s’approcha du chevalier, inclinant la tête dans un geste poli. « Mon nom est Lorelei Meril. Sûrement vous rappelez-vous de lord Sven Meril ? Il vous doit beaucoup depuis que vous l’avez défendu des Fer-nés. »

Lors de la rébellion des Greyjoy, toutes les Sept Couronnes avaient combattu. Le destin de Sven Meril aurait été tragique si le chevalier à l’époque sous les ordres d’Eddard Stark n’avait pas tué son agresseur.

Lorelei était venue à Port Réal pour assister aux festivités en l’honneur du roi Joffrey Baratheon. Son mari étant trop occupé à régir Noirmont, il fallait que quelqu’un représente les Meril jusqu’à qu’il puisse rejoindre la capitale. Son mari s’était toujours débrouillé pour avoir des yeux et des oreilles dans la capitale. Sven tenait à ce que sa femme parle avec Elijah et qu’elle l’aide à sortir de son mauvais pas – et nulle envie la jeune femme n'avait d’échouer dans sa mission.

La lueur des flammes dansait sur les murs de pierre, plongeant le visage baissé du chevalier dans l’obscurité. Lorelei le fixait toujours, attendant qu’il la regarde et qu’il réagisse. L’homme était assis et immobile et le doute au sujet de son état la traversa un instant avant qu’il ne daigne enfin relever la tête. La jeune femme fut frappée par le visage marqué de coups et l’hygiène déplorable du prisonnier. Bien qu’elle n’aime pas ça, elle savait que c’était le genre de choses dont on ne pouvait s’indigner, étant une dame de son rang. Orfallen était prisonnier pour une raison qu’elle ignorait mais qu’elle se devait de connaître.

Elle chassa toute inquiétude de son visage, se concentrant sur la voix faible de son interlocuteur. En entendant sa réponse, la jeune femme esquissa un sourire. Les guerres - elle en avait entendu parler. Bien que tout homme des Sept Couronnes pense que les femmes n’y connaissent rien aux guerres, Lorelei était l’une des exceptions à la règle. Après tout, lorsque sa famille refusa de se soumettre à l’Usurpateur, ils furent tous massacrés sous ses yeux. Mais personne n’aurait pu déceler dans ses prunelles azurées la moindre frustration ou colère qu’elle aurait pu ressentir à ce sujet.

Le chevalier se montra très courtois et s’excusa de son état et de la situation. Puis, glissant quelques politesses à l’égard de son époux, il mit finalement le doigt sur la question qui lui brûlait sûrement les lèvres. D’un nouveau sourire, Lorelei laissa le silence se suspendre. Elle se détourna, interpellant le garde pour l’envoyer quérir une gourde d’eau. Elle revint prés du chevalier et s’immobilisa devant lui avant de reprendre.

« L’Île-aux-Ours ? Vous êtes bien loin de chez vous ser… »- Commença-t-elle, lui offrant un doux regard. « Mon époux attache beaucoup d’importance à la vie de ceux qui ont sauvé la sienne. Vous n’êtes pas sans savoir que le roi donne des festivités en l’honneur de son couronnement. Je suis arrivée depuis quelques jours déjà et mon mari ne pouvant être là de sa personne pour le moment, il m’a chargé de venir vous voir. »

La jeune femme lissa les plis de sa robe avant de faire quelques pas dans la cellule, les boucles brunes encadrant son visage concentré.

« Si des bruits lui sont parvenus au sujet de votre mise aux fers, il ignore tout de la raison – mais il n’en reste pas moins décidé à vous aider. » – Elle inclina son visage dans sa direction et le regarda fixement. Son visage dégageait douceur et tranquilité.

« Est-ce grave ser ? » – Demanda-t-elle finalement sur un ton plus profond. « Peut-être pourrais-je glisser quelques mots dans l’oreille des concernés, pour aider à votre libération ? »

Lorelei sentait le poids de sa responsabilité dans cette affaire. Elle ne voulait pas échouer et avec une missive de lord Meril, peut-être arriverait-elle à convaincre les hautes sphères de libérer le chevalier.

Si Sven lui avait parlé d’Orfallen et de son acte de bravoure d’il y a plusieurs années, il avait omis de lui mentionner que ce dernier était maintenant un Chevalier Errant. Pourtant, celui-ci devait le savoir, vu comment il surveillait avec intérêt les agissements du chevalier. Lorelei se mura dans une expression soucieuse, entremêlant ses doigts gantés devant elle tout en continuant de faire quelques pas. Le déshonneur et l’errance n’allaient sûrement pas jouer en la faveur du chevalier auprès de la Cour et la situation s’avérerait plus compliquée qu’elle ne le pensait.

Puis, Orfallen reprit pour lui expliquer la raison de son arrestation. A l’évocation de pirates, Lorelei fronça les sourcils de plus belle. Des pirates, à Port-Réal ? La jeune femme pouvait comprendre que ce genre d’individus ne méritaient guère mieux que la geôle, mais alors pourquoi les manteaux d’or étaient ils intervenus à l’encontre du chevalier ? Beaucoup de choses restaient encore mystérieuses à lady Meril qui ne connaissait pas encore la Cour, mais cela donnait à réfléchir.
Le Chevalier Errant se montra finalement soucieux des ennuis éventuels que pourraient amener l’aide qu’elle lui fournirait et Lorelei chassa la remarque d’une main gracieuse.

« Ne vous en faites pas ser. Mon seigneur époux souhaite vous voir libérer, et je ferai ce qui est en mon pouvoir pour y parvenir. » – Le garde interrompit leur discussion et Lorelei le rejoignit jusqu’à la porte pour saisir la gourde qu’il lui tendait. Un nouveau sourire charmeur le gratifia de l’initiative et elle attendit qu’il reparte un peu plus loin dans le couloir avant de se retourner vers le chevalier. « Avez-vous conscience que votre statut de Chevalier Errant ne joue guère en votre faveur ser ? En effet, la guerre vient à grands pas – et les Grands n’aiment guère à ce que la loyauté de leurs sujets ait un prix à payer en dragon d’or. Il est si facile de corrompre lorsqu’il s’agit d’argent. »

Elle s’approcha de lui et s’abaissa à son niveau, lui tendant la gourde d’eau pour qu’il puisse se désaltérer. Lorelei gardait ses prunelles dans les siennes et même si l’homme qui lui faisait face dégageait un quelque chose d’indescriptible, elle ne le craignait pas. Elle se redressa lentement, les yeux toujours rivés sur lui et reprit de son ton apaisant.

« Pourquoi ne pas servir mon mari ? Vous serez sous sa protection et ne craindriez plus les perfidies de certains vouant à tester votre loyauté à la Couronne. » – L’idée lui était venue d’elle-même lorsqu’il eut mentionné son indépendance, mais elle ignorait bien s’il pouvait accepter. Il semblait regretter sa décision d’errer pour servir au gré de la bourse qu’on lui proposerait, alors pourquoi ne pas l’allier à sa cause ? Enfin, à celle de son mari. « Car c'est bien de cela qu’il s’agit non ? Une question de loyauté à la Couronne ? Qui était-il, cet allié à qui vous deviez une dette ? Je vous avoue ne pas comprendre pourquoi l’on vous aurait enfermé ici dans le noir et sans grande considération, alors que vous avez tenté de mettre hors d’état de nuire des hors-la-loi. »

Elle le fixait toujours de son regard cristallin, attendant une réaction qui puisse indiquer dans quel sens allaient ses pensées.

Quand il se jeta sur la gourde pour en boire d’avides gorgées, Lorelei l’encouragea silencieusement. C’était douloureux pour elle d’assister à une telle décrépitude physique mais elle savait qu’elle devrait le laisser là encore quelques temps avant de parvenir à le faire libérer – si toutefois ses paroles et celles de son époux avaient du poids aux yeux de la Cour.
Orfallen finit par lui tendre la gourde et lady Meril se redressa lentement, retrouvant son port de tête gracieux. Le Chevalier Errant lui confia alors le nom de l’allié en question – Obéron Sand. Un bâtard de Dorne, donc. Lorelei cacha sa surprise sous ses airs inébranlables mais bon nombre de questions en venaient à se bousculer contre ses lèvres closes.

Le chevalier expliqua ensuite en quelles circonstances ils s’étaient rencontrés à Port-Réal et que ce fut par pêché d’orgueil qu’il agit. Elle haussa brièvement les sourcils, ce qui aurait pu être interprété comme un reproche. Elle savait à quel point les hommes étaient fiers, et c’est sûrement pour ça aussi qu’elle se doutait que l’homme déclinerait sa proposition. Après tout, elle était une femme. La raison réelle de l’arrestation du chevalier restait mystérieuse et Lorelei était piquée de curiosité face à ce qui se tramait dans les geôles.
Quand Orfallen leva les yeux vers elle, la jeune femme sut quelle était sa décision et en affecta un air légèrement pincé. Il refusait, par prétexte qu’il plongerait sa maison et son nom dans la honte et le déshonneur. Avait-il vraiment une si mauvaise estime de sa personne ? Lorelei ne le connaissait pas mais son mari avait l’air de tenir à sa vie – de ce fait, elle se devait d’en faire autant. Elle détailla le visage usé et parsemé de crasse de son interlocuteur, puis elle baissa les yeux dans un geste de compréhension.

« Dans ce cas, ser, je ne peux rien faire de plus pour vous que de donner du poids à mes mots lorsque je m’entretiendrais avec les bonnes personnes à votre sujet. » – Faisait-il vraiment preuve d’honneur ou déguisait-il son refus d’appartenir à la maison Meril ? Difficile à dire mais Lorelei y songeait. Elle lui avait servi une situation stable sur un plateau et il venait de la lui refuser. « Peut-être avez-vous raison. Peut-être que la situation ne prêterait que danger à mon époux, et c’est bien la dernière chose que je souhaite. »

Lorelei le fixait toujours, comme si elle tentait de déceler la moindre chose qu’il daignait lui cacher. La jeune femme était l’exemple même que l’on pouvait tout refouler durant toute une vie, et se plier à l’image que l’on désirait de nous. Elle, une partisane des Targaryen, forcée de vivre sous la coupe de l’Usurpateur.