Adelhaid redoutait de revenir à Winterfell. Elle l’avait quittée pour ne plus risquer de retrouver son père qui ne pensait qu’à la rosser – elle avait déshonoré sa famille et elle savait que le prix serait cher payé si elle avait la malchance de croiser les mauvaises personnes.
Mais le fait de se trouver en compagnie du chevalier était rassurant pour elle, même si elle craignait de se faire abandonner là à la moindre occasion. A l’entrée de la forteresse, Adelhaid baissa les yeux tandis que John les saluait avec enthousiasme. Elle était connue dans le coin – rares étaient les jeunes femmes qui portaient une chevelure flamboyante comme la sienne. Que penseraient-ils en la voyant revenir avec cet homme ? Elle ne souhaitait qu’une chose – quitter cet endroit. Quitter le Nord. La mine basse, elle attendit que le cheval cesse sa marche et elle releva finalement les yeux sur le chevalier qui lui proposait de l’aider à descendre. Elle ne se fit pas prier et saisit sa main pour se glisser à terre.

La jeune femme le suivit patiemment jusqu’à ce qu’il se retourne pour lui indiquer qu’elle ferait mieux d’aller à l’auberge le temps qu’il fasse ses quelques courses. Perplexe, inquiète, Adelhaid finit par acquiescer, un sourire aux lèvres. Il venait de lui donner quelques pièces et elle se sentit de nouveau rougir, gênée par la situation.

« J’vous attendrai messire. »

Elle le regarda s’éloigner, légèrement inquiète, puis se retourna vers l’auberge qu’elle ne connaissait que trop bien. Elle resta plantée là durant quelques minutes, hésitant à aller se cacher dans les ruelles le temps que le chevalier règle ses affaires, mais elle détermina qu’il était mauvais de lui désobéir. Elle se dirigea d’un pas traînant en direction de l’établissement et poussa la vieille porte en bois pour jeter un œil à l’intérieur. Pas mal d’individus étaient attablés et ce qu’elle craignait le plus, c’était de croiser les vieilles connaissances à son paternel qui auraient eu vent de l’histoire. Elle rentra à pas feutrés et se glissa jusqu’au comptoir, réclamant un godet de lait de chèvre. L’aubergiste la servit et récupéra les quelques pièces avant de se détourner, désintéressé.

Adelhaid prit place à une table et trempa ses lèvres dans le liquide tiède, promenant son regard sur les badauds présents dans l’auberge. C’est là qu’elle reconnut l’un d’entre eux – un homme au faciès ravagé par des plaies purulentes. L’homme qui avait gâché son existence – qui l’avait coincé ce soir là et qui l’avait engrossé. Elle plongea le regard dans sa tasse, soudain raidie et nauséeuse, et elle se contenta de prier pour que celui-ci ne la reconnaisse pas. Et pourtant…

La chaise grinça juste devant la sienne et les prunelles cristallines de la jeune fille se posèrent vaguement sur la silhouette qui s’installait face à elle. C’était lui. Ce sourire hideux. Ce regard mesquin.

« Tiens tiens ma belle. Ça fait un moment qu’on s’pas vu. »

Adelhaid était tout aussi effrayée que furieuse. Elle n’avait qu’une envie – celle de se voir un couteau en main pour poignarder cet homme.

« Partez. Laissez-moi. » – Parvient-elle à articuler.

Mais l’homme n’avait pas l’air coopératif. Une de ses mains se fraya un chemin sous la table jusqu’à la cuisse de la rousse et celle-ci se redressa brutalement, balayant d’un revers de main le godet de lait de chèvre qui vint bruyamment s’écraser au sol. Les clients de l’auberge cessèrent toute activité pour fixer Adelhaid et son interlocuteur. La jeune fille, tremblante, sentit lui venir des hauts le cœur et quitta immédiatement l’auberge d’un pas pressé, ne se doutant pas que son bourreau s’était mis à sa poursuite. Elle pénétra dans des petites ruelles, ne sachant pas où elle allait vraiment, trop préoccupée par la panique qui lui saisissait les membres pour se rendre compte qu’il la suivait. Ça n’est que quand une main sale se plaqua sur sa bouche pour l’empêcher de crier qu’elle comprit ce qui lui pendait au nez.

Violemment plaquée contre les pierres froides, Adhelaid affichait un air terrorisé. Le saoulard la maintenait férocement, une main lui entravant le bas de la figure tandis que l’autre se frayait un chemin sur son ventre, sous l’épaisse fourrure. Elle étouffa un cri, tentant de le ruer, remontant ses genoux alternativement pour l’écarter d’elle, mais en vain. Pour la calmer, l’homme la tira vers lui avant de la repousser contre le mur une nouvelle fois, lui cognant la tête contre le mur pour la faire sombrer dans l’inconscience.
Adelhaid se sentit divaguer, n’ayant même plus la force de se débattre face à son bourreau qui lui susurrait sur un ton menaçant.

« Alors comme ça t’es grosse ?! Parait que ça a du bon. »

La rousse se sentit défaillir, fermant les paupières pour ne plus avoir à visualiser la tronche déformée de ce porc. C’est alors qu’une voix se fit entendre – et le tintement de l’acier qu’Adelhaid reconnut bien assez tôt. Elle qui aurait voulu que ce monstre l’achève pour ne pas avoir à subir une fois de plus l’acte et son état pitoyable – se sentait pousser un regain d’espoir en voyant l’homme qui se tenait derrière. Le chevalier. Il ne l’avait pas laissé et il était même là, prêt à en découdre avec son assaillant. Le saoulard se tourna en direction de John et lui jeta un regard noir. Constatant la lame qu’il tenait à la main et l’armure étincelante qui faisait de lui un chevalier, il se ravisa aussitôt. Ses mains se levèrent en signe de soumission et il dit d’un air tout penaud :

« S’bon, s’bon Ser. Je la laisse tranquille votre poule. »

Dans ses yeux, on pouvait lire la frayeur et la couardise. L’homme n’était pas du genre à se bagarrer – seulement s’en prenait-il aux jeunes femmes sans défense qu’il croyait abuser. Il s’écarta lentement, laissant là une Adelhaid flanchant sur ses jambes et qui peinait à se retenir au mur. Il prit ses jambes à son cou bien assez tôt et la jeune femme tenta de se redresser.

Elle reprit doucement son souffle, sentant plus que jamais l’enfant qu’elle portait en son sein donner des coups. Elle avait ramené la fourrure contre son ventre, de peur que Serfenghel le voie. Si il s’en rendait compte, sûrement ne voudrait-il pas d’elle pour ce voyage, estimant qu’en plus d’être une femme, l’enfant qu’elle portait les ralentirait.

« Merci m’ssire. » – Parvint-elle à articuler. « Merci, merci, merci… »

Elle s’avança difficilement, réfrénant les larmes qui menaçaient de rouler sur ses joues et elle fit mine de regarder autour d’elle.

« Pouvons-nous partir rapidement ? J’suis désolée de vous mettre dans l’embarras. J’espère que vous voulez toujours de moi à vos côtés. » – Elle baissa la tête, honteuse, priant pour qu’il ne se soit rendu compte de rien et qu’il ne la congédie pas pour lui avoir causé des ennuis.

Tandis que le chevalier s’approchait d’Adelhaid pour la soutenir, celle-ci appréhendait sa réaction vis-à-vis du contretemps qu’elle lui avait imposé. Quand il lui demanda ce que cet homme lui avait fait, la rousse secoua la tête, agitant ses boucles cuivrées autour de son visage.

« Rien messire. Grâce à vous. »

Elle se mordit les lèvres, réfrénant toute l’angoisse qui s’éprenait d’elle. Aidée par le chevalier, elle se laissa entraînée vers l’auberge où patientait son cheval et il l’aida à monter. Ils se remirent en route dans les ruelles de Winterfell et la jeune femme restait silencieuse à ruminer sa situation. Quand ils parvinrent prés de l’armurerie chez laquelle John s’équipait, ce dernier lui glissa une autre remarque, vis-à-vis de ce qu’elle cachait.
Elle le regarda s’éloigner, inquiète, et resta à fixer le vide durant quelques secondes. Même si elle avait peur d’être rejetée en lui avouant, le chevalier finirait par en avoir marre de la subir avec son secret et sa gêne. Il l’avait sauvé une fois – peut-être ne la laisserait-il pas en route en sachant qu’elle était enceinte ?
Serfenghel discuta encore avec le forgeron, récupérant son matériel avant de définitivement la rejoindre.

La mine basse, elle le regarda monter devant elle et le cheval se remit en route pour quitter la ville. Une fois qu’ils eurent passés les portes de la forteresse et que le sentier sinueux les attendait en direction du Sud, John réitéra sa question et Adelhaid lâcha un petit soupir résigné.

« J’suis désolée messire. Je ne voulais pas vous faire des cachoteries. » – Commença-t-elle, hésitante. « C’est que… J’attends un enfant. C’est pour ça que je dois fuir Winterfell. J’ai déshonoré ma famille et c’est cet homme qui… »

Elle se ravisa de finir sa phrase puis renifla. Elle s’attendait d’ores et déjà à ce que Serfenghel s’emporte et exige qu’elle descende de cheval.

« Mais j’vous jure que je poserai pas problème à votre voyage messire. » – Reprit-elle pour tenter de le convaincre. « J’sais être forte et pas encombrante. J’le jure ! »