Xaor se torcha la bouche, coulant un œil dans le fond de sa choppe vide. Le vin et la bonne bière n’étaient pas ce qui manquait à bord de L’Impitoyable et il s’y trouvaient même des meilleurs que ça. Non, ce qui manquait, c’était bien les femmes – du moins les consentantes. Il avait bien tenté de faire l’œil doux à la Capitaine mais à force de traîner avec des eunuques, il fallait croire qu’elle s’était refroidie.

Xaor était bien l’un des seuls sur L’Impitoyable à ne pas faire partie de ces esclaves à la force non négligeable. Lui, avait été récupéré par Aaricia il y a quelques années déjà et en avait perdu son œil gauche. Il fallait dire qu’à l’époque, il était assez arrogant pour penser qu’elle n’était qu’une arriviste. Originaire de Lys, le mercenaire avait sillonné le continent en quête des meilleures têtes à abattre. Lorsqu’un homme lui chargea de tuer Aaricia Az Maek renommée Tywir alias le Fléau des mers, il crut bon de se pencher sur l’affaire - et découvrit à ses dépends que c’était une très mauvaise idée.

Xaor se tourna bruyamment sur sa chaise branlante, cherchant des yeux l’Immaculé répondant au nom de Qoeth. Ce dernier à la peau d’ébène et à l’envergure colossale, malgré le fait qu’il n’ait plus grand-chose entre les jambes, aimait accompagner Xoar jusqu’aux bordels de Port-Réal. La raison ? Xaor l’ignorait, mais Qoeth était bel et bien le seul de ces guerriers eunuques avec qui il aimait rire et se saouler.

Ils venaient de débarquer la veille et la situation était des plus échaudée en ville. Eddard Stark venait d’être exécuté sur place publique sous l’ordre du désormais roi Joffrey Baratheon. Toutes ces histoires de pouvoir faisaient vaguement rire le mercenaire, mais ce dernier avait assez de flair pour deviner que le pays était à la guerre et non plus à la prospérité. « Guerre » voulait dire beaucoup d’occasions de s’enrichir, mais il avait remarqué avec quelle témérité et appréhension Aaricia guettait les jeux de pouvoir.

Xaor glissa ses doigts dans sa barbe rêche, offrant quelques regards aux jeunes femmes dévêtues qui passaient régulièrement à quelques mètres de lui. Toute sorte d’hommes se trouvait dans l’établissement – plus ou moins raffinés. Le mercenaire, malgré le fait qu’il ne les supporte pas, se tenait tranquille. Il n’était pas question de faire de « vagues », même si c’était sa spécialité. Son seul œil était aussi vif que ceux des meilleurs guetteurs du royaume et il remarqua rapidement l’entrée d’un homme robuste en compagnie de dix autres. Autant ça n’était pas si rare que ça de rencontrer ce genre d’hommes au Westeros mais les tatouages qui grimpaient le long de ses bras étaient particuliers. Ça lui rappelait quelque chose – le sud peut-être.

A peine eut-il le temps de se plonger dans ses réflexions alcoolisées que la porte d’entrée craqua, soutirant une vague d’attention aux clients du bordel. Le tintement des armures et les larges capes dorées qui se soulevaient à chacun des pas des nouveaux venus extirpèrent un long soupir à Xaor. Les manteaux d’or n’étaient pas vraiment le signe de bonne entente dans le coin, surtout lorsqu’eux, pirates notoires, traînaient à proximité. Il baissa légèrement la tête, faisant passer sa choppe vide d’une main à l’autre tout fixant la table en bois marquée par les nombreux passages. Puis d’un geste rapide, il ramena l’étoffe abimée qui pendait autour de son cou jusqu’à sa bouche.

Les manteaux d’or étaient au nombre de six – pas bien terrifiant à l’idée de Xaor mais plus compliqué si Qoeth ne montrait pas rapidement le bout de son nez.

« Alors, clama le premier à avoir mis pied dans le bordel, Qui va donc rincer les braves manteaux d’or en l’honneur d’être au service du grand Joffrey Baratheon ?
- Z’allez pas nous faire croire que vous n’êtes pas assez payés, mes braves ! ». La voix rauque de Xaor ne passait pas inaperçue alors que tous s’étaient murés dans un silence entre respect et gêne. Le regard sombre que le pirate reçut le fit vaguement sourire. « En tout cas, lui n’est pas d’accord avec toutes ces foutues questions d’honneur semblerait. »

Xaor désigna de son doigt l’homme à l’armure qui se dirigeait vers la sortie – un comportement qu’il ne connaissait que trop bien. Un homme qui tentait d’éviter les ennuis, ou bien qui avait des choses à cacher.

Tandis que Xaor ne quittait pas le chevalier du regard, ce dernier se décida à les rejoindre dans un enjouement suspect. Néanmoins, Xaor ne s'en inquiéta pas et lâcha les piécettes sur le comptoir dans un tintement singulier. Orfallen le rejoignit et s'appuya contre le pan de bois, descendant avec vigueur le contenu de son verre tandis que les manteaux d'or se noyaient la panse sans demi mesure.

Xaor observa du coin de l'œil le chevalier avant de porter lui-même le verre à ses lèvres – réprimant son envie de provoquer une esclandre. A peine eut-il avalé la première gorgée de vin qu'il sentit le chevalier faire un geste vif à ses côtés. Il déglutit difficilement mais ne fit aucun mouvement brusque pour se défendre, sentant la lame vicieuse taquiner ses parties. Le fourbe ! – Xeor vissa son regard dans celui d'Orfallen, lui jetant toute sa haine au visage dans ce simple geste. Déjà le chevalier commençait à lui susurrer des paroles menaçantes et le pirate se crispait à mesure que la lame plus intrusive fasse craquer le tissu de ses braies. L'ironie du sort pour l'un des seuls hommes sur l'Impitoyable à encore posséder une queue, que de se la faire couper dans un bordel. Crispé, les ongles plantés dans le comptoir, Xaor affichait un visage entre fureur et effroi. Il savait parfaitement que le chevalier était sérieux et que la menace de lui trancher ses attributs n'était pas que parole en l'air.

Il n'eut même pas le temps d'effectuer un seul geste ou de dire quoi que ce soit. La douleur fut fulgurante au niveau de son entrejambe, et il étouffa un juron entre ses dents serrées alors qu'Orfallen plaquait sa main contre sa bouche – prétextant une franche accolade alcoolisée aux yeux des autres. Quelle douleur que celle-là. Xaor sentit le sang lui monter à la tête, colorant sa vision de divers éclats lumineux avant qu'il se s'affaisse sur le comptoir, les doigts de son bourreau toujours plaqués contre ses lèvres.
Ses yeux roulèrent dans leur orbite tandis que l'homme tentait de ne pas tourner de l'œil, se tenant les parties avec les deux mains. Le liquide poisseux qui imbibait ses vêtements n'était pas vraiment de bon augure pour l'homme qui se sentait défaillir seconde après seconde. Même s'il tentait de se débattre face à la poigne de son agresseur, il s'en sentait incapable. Les bruits et voix tout autour de lui ne se firent que plus sourds et incompréhensibles alors qu'Orfallen clamait déjà haut et fort que le marin avait été vaincu par l'alcool.

Un peu plus loin dans la salle, un homme à la peau ébène émergea du couloir. Son expression était neutre, ses traits étaient fins. Il aurait été un bel homme s'il n'était pas couvert de ces cicatrices, provenant même de l'enfance pour certaines. Un homme, un esclave - qui à l'âge de cinq ans, avait été sélectionné pour devenir un Immaculé. Un homme qui n'en avait jamais vraiment été un dans toute sa virilité – castré entièrement dés son plus jeune âge, il était habitué aux nombreux quolibets de la part d'autrui. A six ans, il dut étrangler un chiot dont il dut s'occuper jusqu'à la fin de la première année. Si le garçon tue, alors le garçon est prêt. Ceux qui avaient échoués, eux, finissaient en pâture aux chiens survivants et affamés. A quatorze ans, pour achever sa formation, il dut tuer un bébé sous les yeux de sa propre mère. Le guerrier d'Astapor était redoutable – à l'âge de vingt neuf ans, il etait évident que jamais il n'avait échoué.

Qoeth - car c'était le nom qu'on lui avait donné lors de sa libération - était sorti de l'établissement durant quelques minutes, laissant ainsi son ami face à face avec son godet de bière. Il était revenu quand le chevalier s'était aventuré prés de Xaor au comptoir et il avait observé avec circonspection le manège que s'étaient livrés ces deux là. Il avait compris ce qui se tramait maintenant et c'est d'un pas léger mais déterminé qu'il se dirigeait vers le chevalier. A quelques pas, il étendit sa longue main aux doigts fins pour attraper fermement Orfallen par l'épaule et le dégager du comptoir pour l'arracher à son ami. A peine le chevalier écarté, Xaor chancela sur le côté, brisant quelques verres sur le comptoir et attirant l'attention de toute la salle. Le pirate blessé bascula sur le côté, découvrant aux yeux de tous les braies maculées de sang – un seul gémissement franchissant ses lèvres pales.
Les prunelles de Qoeth se figèrent de fureur sur le chevalier et il clama d'une voix claire.

 « Cet homme a blessé mon ami. » – Clama-t-il. Malgré la colère sourde qui exhalait de ses pores, sa voix était calme. Il sortit une lame effilée et malgré les gestes du chevalier en armure, Qoeth la lui plaça habilement sous la gorge.

Si les Immaculés étaient conditionnés à la loyauté et à la discipline, ils n'avaient jamais eu pour habitude de remettre en question les choses. Pire, ils n'avaient jamais eu le besoin de parler. Mais depuis que Qoeth voguait en compagnie du Fléau des mers, et plus particulièrement depuis qu'il passait son temps en compagnie de Xaor – il savait à peu prés comment se comporter dans ce genre de société. Si son instinct de tueur l'avait poussé à égorger le chevalier là sans poser la moindre question, il savait très bien qu'il ne sortirait d'ici vivant. La valeur de sa vie, il l'avait appri avec cet homme qui se répandait dans son sang au sol. Non, l'homme à la peau d'ébène avait la force, la vélocité et la puissance – mais il savait très bien que c'était par la parole que la situation pouvait se dénouer.

Qoeth avait l’habitude des regards inquiets et agressifs à son égard. En plus d’avoir la peau aussi sombre que la nuit, l’homme était un « étranger » aux Sept Couronnes. D’ailleurs, il savait parfaitement bien que ce petit détail ne jouerait pas en sa faveur dans l’actuelle situation. Lorsque le chevalier répondit que c’était Xaor qui s’était blessé lui-même, son zygomatique droit se souleva imperceptiblement dans un semblant de sourire en coin. Il laissa néanmoins poursuivre Orfallen, ne cillant pas pour autant la lame appliquée contre la gorge de l’homme. Après qu'il eut fini, il daigna répondre.

« Tu ne sais pas de quoi tu parles. Cet homme n’a jamais failli un duel. La seule fois où s’est arrivé, il en a perdu son œil. Ton combat n’était pas loyal chevalier. Je suis peut-être un étranger ici, mais même moi je ne me permettrai pas de poignarder bassement quelqu’un qui vient de sacrifier son or pour te rincer. » – L’homme ne bougeait pas d’un pouce. Seul son regard sombre frémissait d’une manière inquiétante lorsqu’il fixait le chevalier.

Un peu plus loin, pendant qu’Orfallen et Qoeth se donnaient en spectacle face à la clientèle, Xaor se laissait emmener avec difficulté dans un coin reculé du bordel. Il était encore en état de choc, observant la tâche écarlate se répandre sur ses frusques. Ce connard m’a coupé la queue – hallucinait-il encore. Il avait du mal à réaliser qu’il allait peut-être crever d’ici quelques poignées de minutes. Il entendait vaguement le discours de son ami un peu plus loin, mais il n’était pas certain d’avoir tout saisi. L’Immaculé s’en tirait bien – comme toujours – mais un détail allait le rattraper bien vite, surtout qu’Orfallen prenait un malin plaisir à s’en servir contre lui.
Une voix grave lui parvint alors, et le blessé se retourna pour poser ses yeux sur l’homme aux tatouages qu’il avait remarqués un bref instant attablé un peu plus loin. Cet homme lui disait bien quelque chose. Malgré le fait que Xaor ne voyait pas très clair, il s’appuya au mur, une main sur ses parties tandis que l’autre le soutenait et fixa l’individu avec méfiance. L’homme connaissait son nom – et en plus, il parlait de la Capitaine en des termes pas très admiratifs. Il fallait dire qu’Aaricia Tywir n’avait d’amis que des pirates, contrebandiers, et gens peu recommandables. Cet homme là, avec ces nombreux tatouages, dégageait la fierté et la bravoure. Un homme bien en d’autres termes – du moins, comparé à des gens de l’espèce de Xaor et Qoeth.


« Oh, je vois. » – Sa voix était hachée. Il peinait quelque peu à contenir son malaise. Il fallait qu’il se fasse soigner, et ça très vite. Xaor voulait mourir partout sauf ici.
« On s’est p’têtre déjà croisé gamin. Je t’ai marqué, mais c’est loin d’être réciproque faut m’excuser. Je transmettrai les salutations distinguées à la d’moiselle – mais si tu veux bien, j’ai un truc à régler avant. »

Xaor chancela quelque peu et dut s’arrêter pour reprendre ses esprits. Haut et fort, Orfallen s’indignait du fait que Port-Réal laisse un étranger doublé d’un sauvage, menacer un chevalier au service de Castral-Roc. Bien entendu, les paroles du chevalier ne tombaient pas dans l’oreille de sourds. Les manteaux d’or avaient maintenant la main sur leur garde et fixaient avec attention les deux hommes.

« Peut-être as-tu besoin de Castral-Roc pour payer tes dettes chevalier ? Je n’ai pas offensé votre roi, ni votre peuple. Ton titre ne te sauvera guère bien longtemps. Contrôle ta dague comme ta langue – peut-être arriveras-tu à survivre… » – D’un geste lent, Qoeth rangea son arme, libérant ainsi le chevalier. Il ne darda même pas ses prunelles sombres sur l’assemblée. Seulement se contenta-t-il de repérer son ami mal en point et de venir le soutenir. Son regard glacial considéra le Dornien mais aucun mot ne franchit ses lèvres à son égard. Il passa son bras sous l’aisselle de Xaor pour le soulever et l’aider à avancer en direction de la sortie du bordel.

La seule chose qu’ils espéraient tout deux maintenant, c’était que les provocations s’arrêteraient là et qu’ils puissent rentrer au port pour faire soigner le pirate. Ils n’avaient que très peu de temps.

Qoeth sentait la tension flotter dans l’établissement. Le bruit des épées qui frottaient contre leurs fourreaux se faisait maintenant persistant mais il ne préféra pas jeter un seul regard en arrière, espérant simplement que les hommes se dissuaderont de quitter le bordel. Il n’ouvrit pas la bouche malgré les quelques paroles de son allié qu’il tentait de tirer de là sans plus d’évènements fâcheux. Mais alors qu’ils parvenaient à la vieille porte en bois de chêne, Qoeth ressentit la présence de quelqu’un qui se rapprochait derrière eux. Il voulut se tourner mais n’eut pas le temps de faire le moindre geste dans sa rapidité naturelle, arrêté par le corps de Xaor qui pesait contre lui. Il perçut le poing ganté passer à proximité pour assener un coup au pirate blessé qui s’écroula immédiatement à terre. Qoeth se redressa vivement, prêt à riposter, mais il se ravisa en voyant les quelques hommes qui précédaient l’homme tatoué et le chevalier arrogant.

Il se contenta donc de serrer les points, son regard vissé dans celui du dornien, la mâchoire crispée. Il devait s’avouer en mauvaise posture, et n’avait pas d’autre choix que de se plier au bon vouloir de ces hommes. Fuir dans Port-Réal avec les manteaux d’or et ces inconnus aux trousses ne pouvaient s’avérer être qu’un échec – surtout que Xaor était blessé. Le dornien demanda au chevalier de l’aider à porter le pirate inconscient jusqu’à l’étage et il articula un ordre doublé d’une menace au grand noir. Qoeth restait immobile, réfrénant la colère qui bouillait en lui. Le chevalier errant lui adressa un regard menaçant, et il se contenta de le soutenir avant de les regarder s’éloigner. Il ignorait bel et bien si son ami allait s’en sortir vivant, mais il refusait de partir sans lui quoi qu’il en soit.

Orfallen et Sand portèrent un Xaor inconscient jusqu’à la première chambre libre et le déposèrent sans douceur sur le matelas aux draps sûrement usagés. Le pirate reprit conscience en sentant sa tête cogner contre le pan de bois. Il cligna des paupières, la douleur se réveillant peu à peu dans son membre blessé. Lorsqu’il aperçut les deux visages ennemis penchés au dessus de lui, il tenta de gigoter mais en vain. Il étouffa un grognement, regardant ses frusques maculées de sang avant de pousser un soupir dépité. Arrêter l’hémorragie ? Xaor ouvrit de grands yeux face à la lame fumante que Sand approchait lentement de lui. Le chevalier qui l’avait agressé se tenait juste derrière et l’observait, ses deux mains posées sur sa lourde épée. A la mention du Vinsonge, Xaor afficha une grimace de frustration. Devoir se laisser faire et parler à ces hommes ne lui convenait guère, mais l’homme tenait à sa vie – bien plus qu’à ce qu’il pourrait leur apprendre. En fixant avec insistance Sand, Xaor se rappela de mieux en mieux qui était l’homme tatoué. D’ailleurs, c’étaient ses tatouages qui marquaient la réputation du gladiateur. Cet empaffé de dornien. – pensa-t-il, affichant un rictus sournois à son égard. Mais avant qu’il n’ait pu savourer la moindre pensée provocatrice, voilà que la lame lui brûlait les parties.

Il poussa un cri du plus profond de ses tripes alors que l’odeur peu ragoutante de sa queue qui brûlait commençait à remplir la pièce. Il se laissa aller dans un flot d’injures avant de s’étouffer de lui-même dans le coussin posé derrière sa tête. Il faillit s’évanouir sous la douleur mais il tint bon en se concentrant sur le regard noir de son agresseur. Il l’aurait bien étripé s’il n’avait pas été dans cette situation.

« Ouais que j’me rappelle de toi gladiateur. On boit souvent en l’honneur de ta frustration à chaque fois que le Fléau des mers t’échappe. Tu veux quoi ? Que j’te dise où elle est ? Réfléchis. C’est pas bien dur. » – Grogna-t-il en jetant un regard éteint à Obéron.

Xaor baignait dans le sang et la sueur. Il n’était pas très beau à voir, mais il trouvait toujours le moyen de la jouer sur la provocation malgré tout.

Xaor était en nage, s’agrippant de plus belle au matelas à chaque nouvelle poussée de douleur. C’était contrariant – surtout de voir à quel point le dornien se payait sa tête. Alors que le pirate entretenait le maigre espoir d’obtenir du Vinsonge pour calmer sa douleur, Obéron y mit fin rapidement en prétextant qu’étant donné qu’il avait la langue bien pendue, ça n’était pas utile de lui administrer le breuvage. Xaor redressa la tête pour planter un regard noir dans celui du gladiateur. Qu’est ce qui me retient de tirer ma lame et la lui carrer entre les deux yeux à ce sale con ?! . A ses yeux, ses bourreaux ne méritaient qu’une mort lente où ils s’étoufferaient dans leur propre sang. Mais il n’était pas vraiment en position de marchander – si Orfallen lui avait bel et bien coupé un bout de sa virilité, il n’était pas encore mort et il devrait les supporter encore longtemps.

« Si ton chien d’garde m’avait pas coupé la queue, on en s’rait pas là mon gars. » – Râla-t-il en lançant un regard mauvais au chevalier errant.

Que foutait un type drapé d’austérité et d’arrogance dans un endroit pareil ? J’parie qu’il les touche même pas les gonzesses. – Il surveillait Orfallen du regard, constatant qu’il avait demandé à catin de lui ramener le breuvage en question. Il dut concentrer son attention sur le dornien qui recommençait à parler. D'ailleurs, le violent coup que dernier lui mit dans l'entrejambe à l'aide de son fourreau, faillit le faire défaillir à nouveau. Xaor s’enfonça contre la tête de lit, serrant la mâchoire pour se convaincre de ne rien faire de stupide - même si il arrivait à blesser Sand, il ne pourrait pas échapper au chevalier errant et à sa lourde épée. C’était peine perdue.

Le gladiateur quitta son siège, abandonnant ainsi son arme tout contre, pour venir s’installer aux côtés du mercenaire. Celui-ci, sur ses gardes, le surveillait d’un regard torve. Le dornien commença alors à menacer Xaor de divulguer la présence de l’Impitoyable dissimulé au port, ainsi que la présence de la bande d’Immaculés au service du Fléau des mers. Jusque là, Aaricia et son équipage n’avaient jamais eu de mal à venir dans la capitale. Le pavillon de commerce qu’arborait la galère brouillait brillamment les pistes au sujet de l’identité réelle du mystérieux équipage. Mais Aaricia en sortait toujours avec discrétion, ou elle se faisait passer pour un homme étant donné qu’il était extrêmement rare de voir une femme à bord d’un navire. Bien sûr que tout ceci n’arrangeait pas les affaires du mercenaire. La situation était fâcheuse – il fallait dire que ce serpent avait largement de quoi le faire chanter. Jusque là, l’Impitoyable n’avait jamais été découvert. Aaricia allait être furieuse de découvrir ça, mais sûrement moins si elle en venait à parlementer avec son ennemi. Elle peut bien m’arracher les couilles après ça – de ce qu’il en reste… – Pensa-t-il, résigné. La proposition ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd.

« Qu’est-ce qui m’dit que tu vas tenir parole ? Rien ne t’empêche de balancer l’Impitoyable aussitôt après avoir parlementé avec le Fléau. Même si j’me doute que si tu vas la voir, c’est pas pour t’glisser entre ses cuisses. Tu comptes faire quoi ? Essayer d’la rosser ? » – Xaor lui adressa un plissement d’yeux acerbe. Dans tous les cas, il était mal engagé. Mais au final, peut-être que le dornien allait tenter de tuer Tywir et que la situation tournerait à son avantage ?

« J’vais vous y conduire. Mais à tes risques et périls mon p’tit gars. »

Quand le dornien fit part à Xaor de sa volonté de ramener la tête du Fléau à son suzerain, l’homme tiqua d’un haussement de sourcils. Il n’avait pas été le seul à la vouloir sa tête – son désir à lui, il lui avait coûté un œil. Il espérait qu’il couterait au moins la virilité à cet impudent. Rien qu’en imaginant la plaisante perspective de la vengeance de la capitaine, qui – il fallait le dire – avait très mauvais caractère, Xaor se sentit déjà plus léger. Alors qu’il fixait toujours Obéron sans dire mot, ce dernier se détourna pour prendre à parti son allié. Tandis que les deux s’échangeaient quelques compromis et convenances, le pirate eut le temps d’observer la pièce et de mettre la main sur un godet en argent qui traînait par là. Le fourrant dans sa chausse en cuir, il reporta son entière concentration sur les deux hommes qui revenaient vers lui.

Sand lui confia enfin le restant du bol de vinsonge que Xaor s’entreprit de boire goulument. Le chevalier errant ne lui laissa pas soin de finir, et le mercenaire ne lui en adressa qu’un regard plus morne. Xaor sentit immédiatement l’effet qui calma petit à petit le brasier entre ses jambes. Alors qu’il laissait filtrer un sourire conquis sur son visage, ses deux ennemis l’aidaient déjà à se mettre sur pieds pour le descendre au rez-de-chaussée.

Qoeth était toujours là, debout et inébranlable. Son regard vint se planter dans celui de son ami qui lui adressa un geste de tête convenu, la peau moite et le teint blafard. L’homme à la peau charbonneuse était cerné par les hommes de main du dornien, et ils ne tardèrent pas à se mettre en route dans les ruelles obscures de Port Réal.